La nouvelle plate-forme Parcoursup a dévoilé les premiers résultats le mardi 22 mai 2018. A 18h00, les 800 000 lycéens et étudiants en réorientation découvrent où ils seront affectés pour l’année 2018 et 2019. Cependant, les difficultés se manifestent dès les premières connexions : des bugs identifiés, des candidats ayant immédiatement reçu des réponses négatives ou encore des candidats se situant toujours en liste d’attente. Le même jour se tenait dans la capitale une manifestation des fonctionnaires contre la politique de Macron. Lorsque les manifestants sont arrivés à la Place de la Nation, des lycéens, protestant contre la loi Vidal, ont tenté d’occuper le lycée Arago, situé près du point d’arrivée. Mais l’occupation ne s’est pas déroulée comme prévu et a finalement donné lieu à 102 interpellations. Souhaitant garder leur anonymat, deux témoins ont accepté de répondre à quelques questions sur l’événement passé.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussés à vouloir occuper le lycée Arago ?
Témoin 1 : Je ne savais pas que le lycée devait se faire occuper. C’est en fin de manifestation, une fois arrivé à Nation, que j’ai vu de nombreuses personnes entrer en courant dans le lycée. Curieux, je suis entré et je me suis renseigné. Cette occupation pacifique a été prévue pour protester contre Parcoursup avec pour but de faire une AG une fois le lycée bloqué de l’intérieur. Dans mon lycée, seule 1 personne sur 5 a obtenu ce qu’elle voulait et 52% des terminales n’ont rien obtenu.
Témoin 2 : L’occupation d’un lycée permet de monopoliser une partie de l’établissement dans le but d’avoir un lieu où discuter et organiser une contestation. Elle permet dans ce cas aux élèves et aux professeurs volontaires de faire cours ou de rejoindre les débats. Cela change d’un blocus, c’est une occupation plus intelligente qui fait du bruit et qui a une signification toute particulière dans l’histoire des révoltes étudiantes françaises.
Comment êtes-vous parvenus à entrer dans l’établissement ? Combien de temps êtes-vous restés avant que les forces de l’ordre interviennent ?
Témoin 1 : Je ne sais pas pourquoi le lycée a ouvert ses portes mais à l’instant où elles se sont ouvertes de nombreuses personnes ont forcé le passage.
Témoin 2 : L’occupation a commencé par un engouffrement d’une centaine de personnes par la porte principale du lycée grâce à son ouverture par le gardien car un élève a demandé sa convocation pour le bac. A l’intérieur, la première chose à faire était d’installer des barricades protectrices qui ont pour but de bloquer et ralentir les forces de l’ordre qui essayeraient de nous déloger. Ensuite, il fallait s’organiser pour trouver une salle centrale et faire une réunion avec des votes, des tours de parole, etc. Puis, ce fut au tour de l’écriture d’un communiqué et de la désignation des portes-paroles pour communiquer avec le rectorat afin d’expliquer la situation et d’exposer les revendications. Nous n’avons pas eu le temps d’installer toutes les barricades. En 30 ou 45 minutes, les CRS étaient autour du bâtiment, ce qui nous a contraint à nous presser afin de prévoir leur entrée.
Lorsqu’on lit les témoignages sur les réseaux sociaux (plus précisément Twitter et Facebook), le terme « violemment » apparaît à plusieurs reprises. Vous pouvez développer et décrire comment les policiers sont intervenus ?
T1 : Effectivement, une fois toutes les entrées bloquées, nous sommes montés au deuxième étage pour nous regrouper et préparer une AG. Nous n’avons eu le temps de rien faire sachant que les CRS ont forcé une entrée. Ils ont cassé des chaises, des tables ainsi que d’autres mobiliers qui bloquaient l’accès sans prendre la peine de les dégager. Une dizaine de CRS nous ont trouvé au deuxième. Une fille a tenté de nous rejoindre dans la salle mais les CRS l’ont violemment mise au sol puis emmenée. Ensuite, ils sont entrés en donnant des coups de tonfas nous obligeant à nous tasser dans le fond sous peine de nous faire frapper. Une fois la zone sécurisée un autre groupe a essayé d’enfoncer la seconde entrée de la salle (qui était bloquée). Malgré nos protestations et la non-nécessité de démolir cette porte (puisqu’il suffisait de faire le tour et que nous étions déjà sous contrôle en plus d’être pacifiques), ils ont cassé la vitre et ont bien abîmé la porte. Nous avons été alors tenus pour responsables de ces dégradations.
T2 : Ils ont coupé les barreaux de la grille à l’arrière du lycée avec une meuleuse. Ensuite, ils ont pénétré dans la cour et se sont dispersés dans les étages en passant par-dessus les barricades. Les occupants étaient dispersés aussi sur deux salles. A l’approche des CRS, une précipitation a empêché une fille de rentrer assez tôt dans la salle. La vue sur l’extérieur de la salle étant très réduite, la fille est sortie très rapidement et était hors de vue pour toute la gauche de la salle. Par la suite, les CRS, étant dans la pièce, se sont calmés rapidement à la vue des portables qui les filmaient. Quelques minutes plus tard, d’autres CRS ont essayé de forcer violemment et avec insistance à l’aide d’un bélier la barricade de la deuxième porte de la salle, malgré les appels de leurs collègues. Ils ont fini par arrêter et les occupants ont été sortis sans force. Deux fouilles ont été organisées. Un contrôle d’identité a pris un certain temps avant d’être mis dans un car.
Quand est ce que vos parents ont-il été informés de la GAV ? Quelles étaient leurs réactions ?
T1 : Pour ma part 03h30. J’ai fait parti des premiers à sortir des fourgons. Certains sont restés pendant plus de 4 heures dans le véhicule sans aucune possibilité de boire et aller aux toilettes ! Il y avait plus de 25 fourgons et un car. Mes parents ont été scandalisés. L’Etat a violé nos droits et notre liberté à de nombreuses reprises lors de ces interpellations. De nombreux parents sont du même avis.
T2 : A 04h00 du matin, ils ont voulu savoir dans quel commissariat j’allais être transféré. De la confusion, de la rage, de l’inquiétude…
Que s’est-il passé lorsque vous étiez en GAV ?
T1 : Lors des fouilles, certaines personnes se sont retrouvée nues et d’autres non. L’une d’entre elles s’est faite humiliée : le policier lui a demandé de sautiller pendant 15 secondes pour vérifier que rien ne tombait et il lui a ensuite demandé d’un air moqueur de rester nue encore un peu pour être sûr. Nous avons d’abord été mis en cellule dans le 18ème arrondissement. Un policier m’avait promis qu’on pourrait aller aux toilettes ou boire. Cela n’a pas été le cas. Pour moi, cela a été très rapide, j’ai très vite été transféré. Cependant quelqu’un a quand même été obligé de soulager sa vessie dans notre cellule (le gardien nous répondait toujours « Après, après » malgré les multiples demandes). Quand le gardien a constaté les faits, la cellule a commencé à se remplir obligeant les occupants à se serrer d’un côté. Ils ont passé des menottes en fer à des mineurs dont la plupart avait moins de 16 ans. Certains mineurs n’ont pas été placés seuls en GAV. En discutant lors d’une AG, de nombreuses personnes ont reproché le fait que des mineurs étaient placés seuls. Certaines personnes n’ont pas eu le droit à un avocat (commis d’office ou non). Je n’ai pas non plus eu le droit à appeler un proche.
T2 : Un par un, nous avons été emmenés à l’extérieur du bâtiment où un bus de la police attendait. Le bus était initialement prévu pour une trentaine de personnes. Nous étions une centaine. Ici, j’ai attendu une grosse heure voire plus le temps que tout le monde soit à bord du bus et que nous partions. Nous ne savions pas où nous allions. La chaleur se faisait ressentir et la majorité des personnes dans le bus criait et tapait contre les fenêtres pour attirer le soutien des piétons. Par intimidation, le conducteur, freinait violemment pour nous faire taire et les personnes debout tombaient les uns sur les autres. Quelques médias étaient à l’extérieur et ont filmé la scène. Les portables à l’intérieur ont filmé aussi une grande partie du trajet. Ce sont des contacts extérieurs au bus qui nous ont informé que nous allions au commissariat du 18ème arrondissement. C’est un grand commissariat installé sur un site désaffecté qui gère les grosses foules, de nombreux migrants sont notamment passés par là. À notre arrivée sur place, nous avons attendu 5 heures dans le bus, sans eau, sans avoir accès aux toilettes, sans contact avec les agents, ne sachant pas quel était notre statut judiciaire. Il nous a été fourni une bouteille d’eau d’1,5L partagée par 70 personnes. Durant ces 5 heures, un rassemblement s’est formé aux entrées du commissariat pour demander à ce que nous soyons libérés. Dans cette procédure, il y a légalement 4 heures maximum de vérification d’identités. C’est un vice de procédure et nous aurions dû être libérés. Les rassemblements extérieurs ont été informés que nous avions été prévenus de notre garde à vue, ce qui était bien entendu faux. Nous avons donc été sortis et mis dans des « enclos » hommes et femmes séparés. On a été mis dans un enclos avec des barrières autour de nous pour nous cerner.
Nous avons tous été appelés un par un, les filles d’abord. On nous faisait signer nos fiches de garde à vue et on nous attribuait des commissariats de Paris et sa banlieue. J’ai été fouillé une 3ème fois. On m’a demandé d’enlever mes lacets, mes cordons de sweat etc. Pour les filles s’ajoutait le soutien gorge qu’il était obligatoire de retirer. J’ai signé un 3ème papier dans lequel nous devions renseigner l’avocat, la volonté de prévenir un membre de la famille, le besoin d’un médecin et quelques autres droits qui n’ont pas été précisés à certains et qu’ils n’ont donc pas pu détailler. Après cela, on nous a placé dans des cellules, tous les mineurs ensemble, pareil pour les majeurs. J’en connais un qui a été déposé seul dans un commissariat de banlieue. Chez les majeurs, ils étaient 26 dans une pièce pas plus grande que ma chambre. Dans ces cellules, j’ai réussi à dormir, nous étions une quinzaine et toutes les 20 minutes un nouveau arrivait. Là nous avons attendu 3 heures. Personne n’avait encore bu, on avait eu accès à des toilettes de chantier à l’extérieur, mais n’avions pas eu d’eau depuis 10-11 heures de détention. Un camarade majeur s’est levé et est allé jeté un déchet à la poubelle. Un policier s’est énervé en lui demandant pourquoi il s’était levé, le camarade a répondu qu’il était allé jeter une bouteille et l’agent lui a décoché une gifle en lui crachant qu’il n’avait pas le droit. Les détenus se sont énervés mais vite calmés par d’autres gardiens de la paix. Après cela, un mineur s’est dévoué pour nous laisser partir. Le car est parti à 6h00 du matin et j’ai été déposé dans un commissariat aux alentours de 10h00. Ce n’était pas le commissariat prévu au départ, il n’y avait plus de places, j’ai donc été transféré dans un autre commissariat plus loin. Là j’ai été mis dans une cellule et j’ai attendu le repas du midi, affamé. Le repas était composé de « riz méditerranéen » offert avec une cuillère en plastique. C’est un bloc de riz au légumes cuit dans un opercule de plastique avec un fond d’huile irritant ma gorge. Beaucoup d’attente pendant cette longue journée de mercredi, j’ai angoissé, relativisé, dormi en boucle. J’ai été auditionné en fin d’après midi, je n’avais pas vu d’avocat ni de médecin alors que c’étaient les deux seuls droits que j’avais durant mes 36 heures de garde à vue. J’ai répondu « je n’ai rien à déclarer » à chacune des questions.
Une garde à vue de mineurs ne dépasse généralement pas 24 heures sauf motif grave punissable d’un an de prison. J’ai vu un magistrat par vidéoconférence qui m’a dit que ma garde à vue était prolongée de 24 heures et que je passerai donc la nuit au commissariat. A ce moment-là, j’ai désespéré. La femme qui m’avait auditionné m’a dit que ma garde était prolongée de 24 heures car j’avais participé à l’intrusion illégale d’un lycée dans le but d’une action violente, et que je faisais partie d’un rassemblement armé, ce qui était évidemment totalement faux… Le lendemain matin, j’ai vu un avocat et je suis sorti en début de matinée. Mon père est venu me chercher et j’ai su que j’étais l’un des premiers à sortir ce jour là. Je n’ai pas vu le juge et j’ai été convoqué à un rappel à la loi. Parmi les autres mineurs et majeurs, beaucoup ont été transférés au tribunal « TGI » de Paris. Leurs conditions n’ont pas toutes été agréables : cellules baignant d’urine, une fille passée à tabac dans sa cellule… Personne n’a encore été jugé à ma connaissance mais beaucoup sont mis en examen en attente d’un procès courant août, septembre ou octobre. Certains on été interdits de circuler dans le 12ème (arrondissement dans lequel se trouve le lycée et par ailleurs là où se termine toutes les manifestations) en attendant le procès. Tout cela a été agrémenté par des bavures policières, des vices de procédures, de l’intimidation ordonnée par la préfecture sur les mises en garde à vue. Beaucoup d’injustices. L’Etat a peur du mouvement lycéen et essaie d’exercer une répression pour pouvoir faire passer son programme qui est un échec comme le prouvent les résultats du site Parcoursup qui sont tombés à 18h00 le même jour (mardi 22 mai). Personnellement, je n’ai pas été traumatisé mais des amis ont encore du mal à dormir suite à leurs conditions de garde à vue difficiles.
Quelles ont été les sanctions ?
T1 : Nous avons tous été inculpés d’« intrusion en groupe dans un établissement public en vue de commettre des violences contre des personnes ou des dégradations sur des objets ». Ainsi que « réunion dans un établissement en vue de troubler l’ordre public ». Personnellement, j’ai été sanctionné. Je suis sous contrôle judiciaire jusqu’à mon jugement. Je n’ai plus le droit de me rendre dans le 12ème arrondissement sous peine d’emprisonnement jusqu’à mon jugement également. C’est lourd pour une personne dont le casier judiciaire est vierge. C’était aussi ma première manifestation. Je crois qu’on m’a pris pour un Black bloc car j’avais une tenue de sport (car j’avais cours de sport le matin). D’autres personnes plus connues des services policiers n’ont eu qu’un simple rappel à l’ordre. Deux amies mineures ont également été mises en examen, elle étaient pourtant dans le même cas que moi. Les sanctions ont été distribuées au hasard.
T2 : Il y a eu des rappels à la loi, des mises en examen, des interdictions d’entrer dans le 12ème arrondissement et même des interdictions d’entrer sur Paris en attendant les jugements. Il y a aussi eu des obligations de séances chez un psychologue et d’autres choses dont je ne suis pas au courant.
Pensez-vous que ce qui vous est arrivé soit juste ? Pourquoi ?
T1 : Je pense que c’est totalement injuste. Nous avons occupé un lycée pacifiquement et plus de 100 CRS sont intervenus. De l’interpellation à la GAV, de nombreuses lois ont été transgressées. Tout ce qui nous a été inculpé est faux mis à part l’intrusion non-autorisée dans un lieu public (il y a très peu de dégradations juste quelques tags au feutre). Il y a de quoi mettre en colère je pense. L’Etat a voulu stopper les occupations des lycées en frappant fort. Personnellement, ça me donne encore davantage envie de me battre pour les causes que je défends et je ne dois pas être le seul dans ce cas là. Notre liberté a été violée, on a fouillé nos portables contre notre gré (à 3750€ d’amende on a pas vraiment le choix). Et non, je pense que ce qui s’est passé au lycée Arago est honteux pour l’Etat. C’est de la répression. L’Etat a eu peur de nous pour en arriver là. J’invite tous les Français (et immigrés) à rejoindre le combat contre Parcoursup.
T2 : Non, c’est injuste ! Tout simplement parce que le but de l’action était de s’exprimer sans violence physique et que les punitions ont été totalement démesurées. Et c’est injuste d’une part, par rapport à nous-mêmes mais c’est aussi injuste par rapport à la loi en tant que telle. Il y a eu beaucoup de vices de procédures et les gardes à vue ne sont pas justifiées et certaines gardes à vue sur mineurs ont duré beaucoup trop longtemps. Tout cela est illégal. On ne parlera pas de l’ordre venant de la préfecture de police de faire de l’intimidation auprès des mises en garde à vue…
Selon vous, que représente la loi Vidal ? Qu’est ce qui vous déplaît dans cette loi ?
T1 : Selon moi, la loi Vidal encourage chacun à plonger un peu plus dans l’individualisme, ça devient du chacun pour soi et pousse à marcher sur les autres pour avoir sa place. Au lieu de nous unir, elle nous pousse à nous méfier les uns des autres dans cet Etat toujours plus capitaliste. Elle va contre l’intérêt général. Cette loi permettra aux intérêts privés de prendre le contrôle de l’université française. J’y suis donc totalement opposé.
T2 : La loi Vidal représente la loi Devaquet juste quelques années plus tard. C’est une loi qui sélectionne les lycéens selon des critères injustes qui discriminent les classes populaires et les plus démunies. On veut faire des étudiants une élite privilégiée, ce qui va donner lieu à une fracture encore plus importante des classes au sein de la société. Les classes populaires auront un choix restreint et ne feront pas forcément ce qu’ils voudront. Tandis que les classes aisées ayant des parents qui sont en capacité de leur payer pleinement leurs études obtiendront les meilleures écoles, perpétuant ainsi la reproduction sociale.
Tandis que Frédérique Vidal s’est félicitée de Parcoursup, les candidats n’ont pas été séduits par la nouvelle plate-forme. Il faudra attendre jusqu’en septembre pour que les lycéens et étudiants reçoivent une réponse définitive.