Comme de nombreux Français, j’aimerais dédier une tribune à une absente. Nous avions pourtant l’habitude de nous retrouver tous les cinq ans. Elle nous faisait vibrer par la vivacité de ses débats, ces comptes à rebours qui rythmaient nos agendas. Elle nous faisait pleurer par ses résultats inattendus, par ses candidats, que l’on chérissait, battus.
C’est une tribune que j’écris sur ce rendez-vous démocratique manqué, sur ce rendez-vous qui ne semble pas nous avoir été présenté.
La campagne avait pourtant bien débuté. Les primaires de la droite et du centre ouvraient le bal de ce rendez-vous très attendu. Les résultats de ces dernières nous annonçaient une campagne pleine de rebondissements. Les commentateurs donnaient Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy gagnant. Manque de chance, c’est François Fillon qui fut investi candidat d’un parti.
Beaucoup pensaient alors que l’élection était jouée, François Fillon avait tout d’un prochain président de la République. Bien coiffé, allure de premier de la classe, programme bouclé, la route du succès lui était toute tracée.
De l’autre côté de l’échiquier politique, c’est plus compliqué. « La primaire de la gauche » sera en réalité « la primaire de quelques partis de gauche ». Ni Jean-Luc Mélenchon ni Emmanuel Macron ne répondent aux cris du cœur du parti socialiste mendiant « l’union de la gauche ». Difficile de succéder à François Hollande, dont le virage social-libéral post-campagne électorale, fut peu populaire auprès de ses électeurs.
Bis Repetita. Lorsque l’on hésitait sur le vainqueur de la primaire « la belle alliance populaire » entre Manuel Valls ou Vincent Peillon, ce fut un troisième homme qui fut investi. Un homme dont peu de personnes avaient soupçonné la victoire : Benoît Hamon.
La campagne allait de surprises en surprises, d’inédit en inédit. C’est la première fois de l’histoire de la Vème République, qu’un président ne se présentait pas à sa propre succession. Première fois, où les sondages accumulaient autant de désagréments, déjà desservis par une élection américaine, et un BREXIT à l’issue contraire de celle pressentie.
Progressivement, les partis annonçaient l’implosion. Là où les bons perdants étaient mécontents, les menaces de départ n’étaient pas canulars. Des cadres juppéistes annonçaient leur soutien : c’est en courant qu’ils vont vers Emmanuel Macron. Même valse aux côtés du perdant Manuel Valls : on ne semble plus sûr de soutenir le candidat investi par son propre parti. De la valse à la marche, il n’y a qu’un pas.
Quelle image renvoient-ils aux Français ? Celle de responsables politiques malhonnêtes incapables de dépasser leurs désaccords pour faire barrage à l’extrême droite ? Comment pourraient-ils prétendre à l’union de la nation, s’ils en sont en réalité incapables dans leurs propres formations ?
La campagne fut par ailleurs polluée par les problèmes judiciaires des candidats, ce qui a vraisemblablement immobilisé cette dernière pendant plusieurs semaines.
François Fillon est mis en examen, pour détournement de fonds publics. Il avait pourtant fondé sa campagne sur son irréprochabilité. Fillon n’avait, de surcroît, pas hésité à admonester son ex-adversaire Nicolas Sarkozy en énonçant « Qui imaginerait le Général de Gaulle mis en examen ? » en référence aux multiples affaires où l’ex-président de la République était embourbé. C’est le jeu de l’arroseur arrosé.
Quant à Marine Le Pen, le parlement européen lui reproche d’avoir pioché dans les caisses européennes, pour payer des activités destinées à son parti. Comble du mépris, elle refuse de se rendre aux convocations des juges afin d’être entendue pour cette affaire. L’antisystème utilise les outils du système pour sauver sa peau.
Les Français les plus modestes assistent à ce tragique spectacle mêlant costumes hors de prix et responsables politiques qui nient.
Il y a comme un air de frustration. Celle de l’incompétence générale des candidats.
Emmanuel Macron fait campagne lors de longs mois sans programme, cela ne semble pas gêner. François Fillon adopte la stratégie du complot, arguant qu’un cabinet noir essaie de l’assassiner, cela ne semble pas gêner. Du côté de Marine Le Pen, on annonce de grandes politiques de relance à coup d’investissement public massif. Dans le même temps, on annonce des économies accompagnées de baisses massives d’impôts, et cela ne semble pas gêner. Benoît Hamon évoque un revenu universel d’existence qui n’a d’universel que le nom, ce qui ne semble pas gêner. Certains annoncent un engagement sur un plateau de télévision un soir, pour le contredire quelques jours plus tard. Cela ne semble toujours pas gêner.
Que dire sur ces médias qui traitent de la campagne présidentielle ? C’est la course à l’audace, le fond n’y a plus sa place.
On chante, que dis-je, rappe les questions aux candidats. Les humoristes clôturent les émissions politiques. Les chaînes de télévision décident elles-mêmes quels candidats sont, ou, ne sont pas dignes d’être écoutés par les Français. On s’extasie devant l’hologramme de Jean-Luc Mélenchon. On rit. Bref, c’est l’ère du divertissement roi, de l’audimat qui fait loi.
Sur Internet, c’est le marathon à la concision ; au fast-food du clash, du buzz, et du wizz.
Exit Pujadas et Chazal, place à Hugo Travers et Cyrus North à la cible plus jeune.
À trop vouloir intéresser cette cible, ne sommes-nous pas devenus artisans du contenant au détriment du contenu ?
Comment parler guerre, chômage et insécurité lors d’un “Gaming présidentiel » d’Hugo Travers ? Comment y évoquer la Syrie, Trump et le populisme rampant ?
En définitive, les médias ne sont que le reflet de cette campagne ratée. Une campagne bancale, mal préparée. Une campagne basse, qui n’est pas à la hauteur des attentes des Français, qui n’est que bal des imparfaits.