Mal aimée par sa direction, boudée par les téléspectateurs, I-Télé a tiré sa révérence le 27 février dernier. C’est au petit matin qu’un jingle d’une vingtaine de secondes mit fin, laconiquement, à 17 années d’information en continu. Retour sur les derniers soupirs de la chaîne où «l’information ne s’arrête jamais».
L’antithèse de BFMTV.
I-Télé n’a jamais pu durablement devancer sa grande rivale BFMTV, aussi bien en audiences qu’en termes de rentabilité. Depuis 2005, date à laquelle elle rejoignit la TNT, I-Télé n’a cessé de prendre des virages éditoriaux, au grès des changements d’organigramme du groupe Canal +.
Cette stratégie, fructueuse en 2006, n’a permis à la chaîne que d’être leader, en l’espace de quelques mois, en part de marché sur la TNT. Excepté en 2010, où la chaîne au logo triangulaire devint leader pendant 1 mois, BFMTV a pris soin de distancer cette dernière, d’abord d’un dixième puis de plusieurs pour cent de part de marché.
Ce n’est qu’à partir de 2012, qu’I-Télé stabilise sa grille, et fixe sa cible, avec la nomination de Cécilia Ragueneau et Céline Pigalle à la tête de la chaîne. Elle entendait alors se différencier de sa principale concurrente en misant sur des décryptages et des débats quand BFMTV faisait part belle au « Hard-News ». Malgré de beaux discours, I-Télé n’a pu s’empêcher de revenir sur ce qui faisait le succès de sa concurrente, en réduisant les débats et en se recentrant sur l’information en continu.
On ne compte plus les changements de slogans et de plateaux. I-Télé se cherche et ne se trouve pas. Elle demeure l’antithèse de BFMTV, perdue dans sa recherche d’identité, comme boudée par les téléspectateurs.
2015, le début de la fin.
En 2015, après avoir pris la tête du conseil de surveillance du groupe Vivendi, maison mère de Canal+, Vincent Bolloré entre, en grande pompe, à coup de licenciements à la tête du groupe Canal +. Il décide d’un brutal régime d’amaigrissement budgétaire de la chaîne mère dans un premier temps : des émissions historiques passent à la trappe en même temps que l’organigramme du groupe.
I-Télé ne subit pas directement les cures du milliardaire breton. En effet, ce dernier se targue de faire annoncer qu’il « ne sait pas quoi faire d’I-Télé » ou encore que dans « sa stratégie, l’information n’a pas de place ». La rédaction patiente dans ces heures de latences, comme un condamné à mort qui monte sur sa potence.
Dans ce contexte, déjà tendu, ce n’est pas un, mais deux nouveaux concurrents qui entrent dans ce marché ô combien concurrentiel. LCI, première chaîne d’information historique du pays se voit accordé un canal de la TNT en avril 2016. FranceInfo, énième chaîne du service public, est annoncée pour le mois de septembre de la même année. Toutes font la sempiternelle promesse d’un traitement différent de l’actualité.
Une reprise en main musclée.
Il n’en fallait pas moins pour que les tentacules du Tycoon breton s’arrêtent sur I-Télé.
Exit Céline Pigalle et Cécilia Ragueneau, place à des proches de Vincent Bolloré.
Guillaume Zeller, numéro un de la chaîne, arrive tout droit de Direct Matin, journal appartenant au groupe Bolloré. Lors des premières rencontres avec la rédaction, il prononce une phrase qui est censée apaiser un climat déjà tendu : « Je suis là pour apprendre de vous ». Difficile pour lui de masquer son manque d’expérience : passer d’une équipe s’occupant de la rédaction d’une revue pleine de réclame, à la tête d’une chaîne nationale n’est pas une mince affaire. I-Télé se retrouve, en outre, dirigée par un soutien assumé d’une frange catholique traditionaliste qui parfois ne refuse pas quelques interventions sur la chaîne controversée « Radio Courtoisie ».
La numéro deux de la rédaction se prénomme Virginie Chomicki, future tête de gondole de CNEWS, elle est se retrouve décriée par ses anciens collègues de LCI qui l’estime incapable de diriger une telle équipe après avoir effectué quelques chroniques à l’antenne. Guillaume Zeller est rapidement remplacé par Serge Nedjar, en mai 2016. Ce dernier est alors président de « Bolloré Média Régie ».
C’est un nouveau fidèle qui prend la tête d’I-Télé. Réputé cassant, il n’hésite pas à asséner devant la rédaction « Je serai l’homme à abattre, celui que vous allez détester ». Son but, multiplier les synergies avec les filiales achetées par Bolloré. Après le rachat de Gameloftpar Vivendi, il n’hésite pas à demander aux journalistes de couvrir une conférence de presse de la firme spécialisée dans le digital. Selon lesJours.fr, il serait allé jusqu’à censurer un reportage sur l’affaire Fillon, au matin sa publication par le Canard enchainé.
Enfin Philippe Labro est une ancienne connaissance de Vincent Bolloré. Il avait notamment participé au lancement de la chaîne Direct 8, alors propriété de Bolloré, actuel chef du groupe Canal + avant d’être revendue…à Canal +. Triste revanche.
Une grève sans précédent.
Une autre star de Direct 8, devrait également faire son apparition : Jean-Marc Morandini. Il avait contribué au succès de la chaîne notamment avec son émission média qu’il avait humblement appelée « Morandini ». C’est cette recrue qui fait exploser la rédaction en proie aux licenciements et à la diète budgétaire. En effet, Jean-Marc Morandini est empêtré dans une affaire de corruption de mineur aggravé. Les méthodes « journalistiques » de Jean-Marc Morandini ne correspondent pas, par ailleurs, à l’identité de la chaîne pour certains de ses confrères.
C’est pendant 31 jours de grève que la majorité de la rédaction manifestera son désaccord concernant l’arrivée de Jean-Marc Morandini à l’antenne. Une assurance d’indépendance de la rédaction est dans le même temps demandée. I-Télé devient entre-temps une chaîne documentaire où des rediffusions de reportages Canal + tournent en boucle.
Il n’en est rien. 31 jours de grèves, près de 80 départs, une élection américaine non couverte, des pertes de points de part de marché, des journées de pleurs, de peur de la précarité, n’auront servi à rien. Le soutien de personnalités du monde politique et médiatique n’ont rien bouleversé : ni l’intervention de la ministre du Travail Myriam El Khomri, ni le soutient d’une majorité de leurs confrères ont pu changer la donne. Le message de Vincent Bolloré est clair : « Vous obéissez, ou vous dégagez ».
La plus longue des grèves de l’histoire de l’audiovisuel français depuis 1968, qui frappait alors l’ORTF, n’aura pas permis la signature d’une charte éthique, ni la mise en retrait durable de l’antenne de Jean-Marc Morandini.
Nouveau look pour une nouvelle vie ?
À son arrivée, Vincent Bolloré annonce un rebranding total des chaînes du pôle gratuit du groupe. I-Télé n’est pas une étoile de « la galaxie Canal », elle deviendra donc CNEWS.
Annoncée d’abord en septembre 2016, elle sera, suite à la grève, repoussée au 27 février dernier. Une révolution est annoncée pour faire table rase du passé : ce sera « une chaîne d’infos de décryptage où les différentes opinions peuvent s’exprimer » disait alors Gérald Brice-Viret, directeur général du groupe.
On annonce l’arrivée de vieilles gloires du PAF (Paysage Audiovisuel Français) à l’instar de Jean-Pierre Elkabbach, dernièrement évincé d’Europe 1. Patrick Poivre d’Arvor, Rachid Arhab, Marc Menant : moyenne d’âge 70 ans.
Autre les recrues d’un autre temps, CNEWS, se démarque d’I-Télé par ses nouveaux débats, où il est question de “pénoplastie”, de franc-maçonnerie ou encore d’immigration.
Le spectre de Jean-Marc Morandini est bien présent : C-RACOLLEUR.
Les journalistes de CNEWS continuent d’alimenter une chaîne qui tourne encore au ralenti. Un ralenti qui profite à l’une de ses concurrentes ; chaîne d’information du groupe Bouygues, LCI, a pu égaliser CNEWS en part d’audience.
La direction du groupe s’est donnée 3 ans pour trouver l’équilibre financier, en maintenant un cout de grille de 20 à 30 millions d’euros : le pari est lancé.