A la découverte de la culture cajun

A la découverte de la culture cajunTemps de lecture estimé : 6 min

Aujourd’hui encore, par les mots, nous allons voyager à travers l’espace et le temps. Nous sommes au milieu du dix-huitième siècle et depuis quelques décennies, notre navire a quitté les côtes du Nord-Ouest du Royaume de France pour accoster en Acadie, colonie française située sur le territoire de l’actuel Canada. Mais en 1713, la France cédera cette colonie à la victorieuse couronne britannique et les lois interdisant aux habitants d’exercer leurs mœurs et leur langue, feront fuir par la force les Acadiens en Louisiane. Cette zone géographique fut fondée par des explorateurs français suite à une requête du souverain visant à trouver des terres davantage fertiles dans le Nouveau Monde. Son nom est d’ailleurs dérivé du prénom du Roi-Soleil. Passant sous la gouvernance des Anglais puis des Espagnols, elle reviendra à la France en 1800 avant d’être vendue en 1803 aux Etats-Unis et deviendra neuf ans plus tard un Etat américain. En 1755, ce « Grand Dérangement » les mènera jusqu’au delta du Mississipi, dans le sud de la Louisiane où la communauté acadienne fut confinée et forcée de s’adapter pendant des siècles aux marécages de cette région, plus connus sous le nom de « bayous ».


Les Bayous : Une zone humide, foyer d’une incroyable biodiversité

Les Bayous sont des étendues d’eau stagnante mêlant marais et lacs et ce, dans une zone environnant les abords du Mississipi. Des visites de ces bayous sont organisées afin de partir à la recherche de ratons laveurs ou d’alligators. Le climat presque tropical offre une splendide flore, composée de cyprès ornementés de « mousse espagnole ». La faune y est riche et l’on peut y retrouver davantage de hérons, de cormorans, de canards, d’aigle-pêcheurs et de tortues que d’habitants. Dans cette région résident les fantômes de la société plantocratique esclavagiste mise en place durant des siècles dans cette région à travers la présence d’anciennes plantations dont la conservation met en lumière les spectres de ce passé colonial.

La francophonie comme instrument de partage et d’expression

La francophonie est alors déjà présente sur le territoire, notamment par le biais de vagues d’immigration qui aux XVIIIe et XIXe siècles, composées d’Acadiens et de Français venus de Saint-Domingue et des Créoles venus d’Haïti. Le langage étant l’outil fondamental permettant de créer toute relation sociale, ces deux populations, partageant la même discrimination mais surtout la même langue, se rejoignirent et de ce melting-pot, naquit la culture cajun. Dans les années 1970, la langue cajun fut reconnue par l’Etat de Louisiane –qui comme tout Etat a le monopole en ce qui concerne la reconnaissance des langues de ses habitants- et son apprentissage a pu être poursuivi à travers la création d’un Conseil pour le développement du français. Cette nouvelle approche des minorités fut porteuse d’espoir pour les Cajuns mettant fin au bannissement institué en 1921 de la langue française au sein de toute institution scolaire, du fait d’une politique d’anglicisation entreprise par l’Etat. Il est par ailleurs important de noter que le langage cajun, contrairement au québécois, comporte nombre d’anglicismes, ceux-ci se mêlant à des variations du français institué par l’Académie Française. Aujourd’hui en Louisiane, on évalue à environ 7% le nombre de locuteurs français ou créoles.

L’éveil des papilles, bercé par des effluves multiples et singulières

Dans la culture cajun, la gastronomie joue un rôle prééminent. Il est toujours important de se retrouver lorsque l’on appartient à une minorité et que nos racines ont été mises en péril par le passé. La tradition et la créativité se retrouvent dans des plats riches par leur savant mélange de saveurs et l’expertise de leur préparation comme les écrevisses à l’étouffée, le gombo et les beignets de fruits de mer –dont la pêche locale représente 30% de la production américaine-. Si l’Acadiane –région où résident les Cajuns- était un pays, son plat national serait probablement le jambalaya, paella faisant valser poivrons, riz, tomates, crevettes et saucisses fumées autour d’un saupoudrage de curry et de poudre de piment. Encore aujourd’hui, dans les villes de la Nouvelle-Orléans, de Lafayette ou de Bâton rouge, on retrouve nombre de restaurants ou de commerçants ambulants vendant les délices de cette cuisine atypique et traditionnelle.

Le sens de la fête

On observe dans cette région une réelle omniprésence de la musique. Sa spécificité est le zarico, un style musical basé sur les instruments entraînants que sont l’accordéon, violon faisant danser chacun sur des sonorités blues et rhythm’n’blues, le tout accompagné de paroles en créole ou en français. La dénomination de ce genre dérive de la musique-phare du peuple cajun qui demeure incontournable à chaque bal et ce, à travers les siècles : « Les haricots sont pas salés ». Ce genre musical, né dans les années 1930, nous évoquera à la fois les musiques bretonnes et africaines.

La Louisiane, c’est aussi évidemment le nid du blues et du delta blues. On y retrouve donc multitude de festivals comme la mythique célébration du Mardi Gras et du jazz à la Nouvelle-Orléans à travers le New Orleans Jazz et le Heritage Festival. Nombre de rassemblements publics se passent également à travers les « fais dodo », des bals où les Cajuns dansent avec toute la gaieté et la ferveur caractéristiques à cette population au rythme de musiques zarico. Cette atmosphère festive si singulière se retrouvera dans la présence de nombreux bars, théâtres et clubs tels que le House of blues, le Mulate’s ou le Tipitina’s.

La culture et l’histoire, Deux approches actuelles de la culture cajun

Dans la littérature, réside le légendaire poème « Evangeline » que nous pouvons encore aujourd’hui écouter au pied du chêne éponyme sous lequel deux amants Acadiens, séparés par le Grand Dérangement, se seraient retrouvaient pour y mourir ensemble. Situé à Saint Martinville, ce sera dans cette même ville, surnommée « Le Petit Paris », que nous trouverons l’église Saint-Martin-de-Tours qui, datant de 1876, se trouve être la plus ancienne église du pays cajun. L’histoire occupe une place prépondérante dans la conscience collective cajun et au sein de celle-ci, l’attachement à la généalogie et à l’histoire familiale est prégnant. Si un voyage dans le passé vous tente, il vous suffira de vous rendre près de Lafayette avec les Acadian Village et Vermilion Ville retracent la vie des Cajuns au milieu du 19ème siècle. Plusieurs villages typiques, situés près de la Nouvelle-Orléans, rendent compte de l’héritage cajun comme les communes d’Abbeville, Eunice, Avery Island – où est fabriqué le Tabasco – et de New Iberia.

Bien que son climat s’avère assez aversif, l’accueil de la minorité cajun se traduira à travers sa joie de vivre et son partage autour d’une danse enflammée sur du zarico, d’un plat savoureux, d’une conversion célébrant la conservation des traditions d’antan ou bien tout simplement, sur les bords du Mississipi, écoutant les douces notes d’une guitare jouant un peu de blues avant que le soleil ne se couche.

Marie Lefebvre de Lattre