Vers un schéma idiocratiqueTemps de lecture estimé : 6 min
Film de 2006, Idiocracy est la grande caricature de la société moderne, à son paroxysme. Nous sommes 500 années plus tard dans un univers où la mondialisation alliée à son compère le capitalisme ont réduit l’intelligence humaine à un Quotient Intellectuel environnant le chiffre 50. Résultat, nous sommes dans un monde où chacun est client perpétuel de sa propre imbécilité et se retrouve réduit à passer ses journées sur un siège géant où il défèque, se nourrit d’une nourriture indéfinissable et s’hydrate à la boisson gazeuse. L’existence de celle-ci remplaçant l’eau, car tous ont détruit l’environnement par le biais du monde industriel. C’est l’apogée du culte de l’inculture.
Or à l’heure actuelle, en ce début d’année 2019, l’élection du président Donald Trump a bien eu lieu, le menant à diriger le pays le plus influent du monde par le biais de ce qui est appelé « l’américanisation du monde ». La désignation de son récent homologue brésilien, Jair Bolsonaro semble suivre une ligne directrice semblable ; nous sommes dans une phase où les extrêmes, penchant vers une optique individualiste, se propagent. Ces deux derniers présidents ont tenu des propos homophobes, racistes et à tendance climatosceptique.
C’est dans un environnement tel que celui-ci que se déroule la négligence d’une volonté d’ouverture à la culture et à l’esprit.
Un désintérêt culturel flagrant des populations ?
L’époque moderne est dans une direction où les séries Netflix notamment, promeuvent le parfait adolescent entouré de sujets qui ne concernent que les intérêts que devrait avoir celui-ci, selon l’engouement à la superficialité. Celle-ci même étant au cœur de notre être, nous nous retrouvons dans le prisme de ce modèle, où règne la société de consommation, laquelle fait le bonheur de chaque entrepreneur.
Une exposition regroupant des caricatures implicites de ce grand désintéressement, intitulée La Fatigue culturelle a été inaugurée à la galerie UQO, au Québec.
D’autre part, il s’agit aussi du désintérêt politique, qui passe par l’abstention électorale, ce qui traduit un des grands maux de l’actuel régime démocratique. Une étude de l’Insee a relevé que moins d’un électeur sur cinq âgé de moins de 29 ans avait voté à tous les tours des élections en 2017. Cela confirme une enquête faite par L’express en 2014 : Grande enquête sur le désintérêt des jeunes pour les élections. La période pourtant proche qu’est le mois de mai 1968 relève du passé. Chose qui peut en effet être remise en cause par les actuelles manifestations contre le gouvernement français et ses réformes.
D’autre part, un désintérêt des populations envers la culture apparaît, la part de lecteurs, en France, étant en grand déséquilibre. Par individus recensés, le nombre de livres lus (papier + numérique) a sensiblement augmenté passant de 16 à 20 livres entre 2015 et 2017. Il s’agit de livres en tout genre, de la bande dessinée, en passant par le roman ou le manga. Néanmoins, un Français sur trois déclare lire de moins en moins de livres.
Les temps immémoriaux des constantes références littéraires et philosophiques dans chaque débat et discussion, ainsi que des clubs regroupant les plus grands intellectuels, disparaissent en silence. Le siècle des Lumières est alors un instant de l’Histoire à son apogée, où la science mêlée à la philosophie ont révolutionné les manières de penser. Il nous est possible d’entrevoir que, si l’on comprend que la culture n’est pas un stock de connaissances inertes, mais une forme sociale qui repose sur l’appropriation, nous comprenons le prisme dans lequel l’Homme est soumis et enfermé.
Nous nous retrouvons dès lors dans un univers dont la matérialité domine, accompagnée de superficialité vendue comme prospère et créative de charisme et de socialisation.
Un engouement à l’esthétisme et la superficialité
Alain Brossat exprime clairement et longuement cet aspect dans le livre « Le grand dégoût culturel » dont il est l’auteur. Notamment par le fait que selon lui, tout débat est traité comme il est de coutume de le faire actuellement, c’est-à-dire sous la forme de l’opinion basée sur un jugement esthétique.
Par les réseaux sociaux, nous observons qu’internet a bouleversé notre rapport au savoir comme en dispose un article de Magma.
Dans le même optique a été publié le livre La culture de l’égoïsme de Christopher Lasch et Cornelius Castoriadis. Celui-ci analyse la naissance d’un nouvel égoïsme, au sortir de la Seconde guerre mondiale et à l’entrée dans la société de consommation. Les individus se retranchent dans la sphère publique et se réfugient dans un monde exclusivement privé, perdant ainsi le “sens de soi-même” (sense of self) qui rend possible toute éthique. Ce sens de soi-même n’existe en effet que lorsque les individus sont dégagés des contraintes matérielles et n’ont plus à lutter pour leur survie. Sans projet, otages d’un monde hallucinatoire sans réalité ni objets (même la science ne construit plus de réalité puisqu’elle fait tout apparaître comme possible), mais dopés par le marketing et les simulacres, les individus n’ont plus de modèles auxquels s’identifier et se servent des personnalités publiques et fictives offertes par l’influence superficielle de réseaux sociaux tels qu’Instagram.
C’est une réalité observée par Le Monde Culture dans son enquête qui met en lumière que ce sont 51,3 % : la proportion de jeunes qui ne s’intéressent ni au musée, ni au théâtre, ni à l’opéra. 25% assurent préférer “surfer” sur les outils numériques mis à leur disposition.
En effet, Internet est un regroupement, un ensemble d’artistes en herbe, savants, amateurs, diaristes et autres passionnés en tout genre qui forment de nouveaux bataillons d’un nouveau « tiers état culturel ». Les analyses vont bon train. Certains saluent l’avènement d’une nouvelle « démocratie cognitive », mais l’on peut s’alarmer toutefois des dangers d’une « sous-culture Web » qui nivelle tout sur son passage.
Une chose est sûre, la troisième culture ébranle le « second pouvoir » culturel : celui de la presse et de l’édition. L’onde de choc est brutale. La baisse des ventes des libraires et journaux est un phénomène international, massif et structurel. Aux États-Unis, le nombre de lecteurs de journaux et magazines a baissé de 10 % entre 1994 et 2006, pendant que le nombre d’Internautes explosait. La France comptait 28 millions d’internautes en février 2007, soit plus de la moitié de la population (une augmentation de 7 % par rapport à 2006).
Ainsi l’on en vient à la formation d’une génération dite « Z ». Laquelle naît dans le prisme de la socialisation par l’ensemble des outils médiatiques à sa disposition. Celle-ci pourtant dans une époque en crise sociale et environnementale, concernant chaque peuple sans exception ; se voit renfermée de plus en plus dans ce qui semble s’adapter au scénario de l’allégorie de la caverne de Platon dans son livre La République. Le désintérêt pourrait devenir l’objet formateur de la jeunesse face aux soucis de société, un élément quelque peu perturbant.
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