La cryptomonnaie va-t-elle sauver l’humanitaire?Temps de lecture estimé : 7 min
Unicef France a parié dessus et a lancé une campagne à la méthodologie quasi-inédite en France afin de récolter des fonds pour les enfants Syriens. Du 2 février au 31 mars vous pouvez accéder à la web chaingers.io et faire des dons issus du minage de l’Éthereum, une cryptomonnaie.
Cette démarche expérimentale (ce qui explique qu’UNICEF ne l’ait pas communiquée à ce propos sur son site officiel) vise principalement la communauté des gamers déjà enthousiastes. La page d’accueil utilise les codes esthétiques du jeu vidéo. Sur fond vert, à gauche de l’écran on voit en temps réel les fonds récoltés et le nombre de contributeurs totals et actifs. À droite, de haut en bas, figurent les mois, heures, minutes et secondes qu’il nous reste pour participer à l’aventure. Ce compte à rebours est terriblement efficace dans sa transmission de l’urgence à laquelle nous faisons face. En effet, comme le rappelle le web dans la première de ses F.A.Qs, plus de 8,3 millions d’enfants ont besoin d’aide en Syrie et dans les pays voisins, dans le contexte d’une guerre civile qu’on a de plus en plus de mal à saisir.
UNICEF vante les mérites d’appliquer cette digitalisation, avec deux arguments majeurs: premièrement le drainage de donneurs plus jeunes et deuxièmement la possibilité d’un don “gratuit et indolore”. On se sentirait presque coupable de ne pas au moins partager cet enthousiasme. Il y a aussi la réelle possibilité d’une plus grande transparence car toutes les transactions faites à travers de la cryptomonnaie sont consultables sur internet, avec toutes les informations, c’est à dire le mail du donneur, le montant et le mail du receveur.
Que sont les cryptomonnaies?
Les cryptomonnaies sont des unités de valeur virtuelle, décentralisées et sans frontières. Elles sont, comme l’or, impossibles à falsifier et sont obtenues et échangées à travers d’un processus qu’on appelle le minage. Quand deux utilisateurs veulent échanger des unités de valeurs, leur transaction est transférée à plusieurs ordinateurs. Celui qui arrivera à résoudre le problème de cette validation [c’est-à-dire qu’il mine] reçoit une récompense pour son effort: il est payé en cryptomonnaie. La plus connue et utilisée est le Bitcoin, qui existe depuis 2008, a été pensée comme une réponse éthique à la crise financière et à la corruption des intermédiaires, dont les banques. Le choix de l’Éthereum, la deuxième cryptomonnaie plus utilisée, s’explique par la mauvaise presse qu’a reçu dernièrement le Bitcoin, accusé d’être une valeur spéculative (son prix ayant atteint 100 000% de sa valeur initiale) et de s’être progressivement éloigné de son éthique initiale en plus d’avoir un fort impact environnemental. Pour comprendre, il nous faut revenir en 2008.
À l’origine du Bitcoin: un mystérieux idéaliste:
On sait que Satoshi Nakamoto a inventé le Bitcoin mais qui se cache derrière ce nom ? Le mystère reste entier. L’alias a co-écrit un document en 2008, encore accessible, et il (ou elle ou ils ou elles) a lancé le réseau l’année suivante en minant les 50 premiers Bitcoins. Actif dans les forums de la communauté, il était conscient des risques que celui-ci pourrait entraîner. Sa vision est la suivante: supprimer les intermédiaires financiers et transférer la confiance qu’on leur porte à un software, passer outre les frontières, la censure et la manipulation monétaire. Dans le futur imaginé par Satoshi Nakamoto, chacun serait sa propre banque et cela rendrait possible une plus grande transparence.
En 2011, Satoshi Nakamoto a disparu d’internet et a légué le contrôle du Bitcoin à Gavin Andersen qui a aussi partagé le code avec cinq autres développeurs. Comme l’explique Mike Hearn, ancien développeur du Bitcoin, ceux-ci se sont vite vu confrontés à une crise. En 2016, avec l’augmentation trop rapide des transactions en Bitcoin, un plafond d’opérations est estimé à moins de trois transactions par seconde. Aléatoirement les opérations vont, de plus en plus fréquemment, durer 30 minutes ou 14 heures. La réponse évidente à cette crise était d’augmenter la capacité du réseau, sauf que l’élite du Bitcoin s’y opposait fermement. Celle-ci est composée d’une part des cinq développeurs d’origine et d’un groupe de plus en plus restreint de mineurs influents: deux mineurs chinois contrôlent 50% des processus de minage de Bitcoin. Dans ce contexte, le Bitcoin était passé d’un mouvement ouvert et dynamique à un réseau contrôlé par moins de dix personnes où les discussions autour des changements ont été vivement censurées et de plus en plus hermétiques. Si ces dynamiques ne sont pas présentes dans l’Étherum, il faut prendre en compte que celui-ci est de création plus récente (juillet 2015) et il n’est pas exclu qu’il ait une évolution similaire.
La dimension écologique
Ce monopole s’est instauré progressivement car les Bitcoins sont devenus de plus en plus énergivores, ce qui n’est pas un bug mais bien un élément qui dérive de sa conception. En conséquence, avec un ordinateur normal, miner n’a aucun de sens, il faut une carte graphique puissante et de l’électricité bon marché, ce qui n’est pas réellement le cas en France. Si cette caractéristique est moindre avec l’Éthereum qu’avec le Bitcoin, elle y est aussi présente. Sur Quora, un internaute avait tenté l’expérience: “pendant deux semaines et avec six ordinateurs. J’ai gagné 0,0004 Éthereum”.
Les évangélistes des cryptomonnaies y voient une opportunité de rentabiliser les surplus d’énergie et réduire la nécessité de stockage, en particulier des énergies renouvelables. En effet, la production d’énergie solaire, hydroélectricité, entre autres, se voient confrontés à des problèmes de surplus car une fois la demande est atteinte, il n’y a pas moyen d’arrêter de générer de l’électricité. C’est là où ils ont construit des “fermes”, de cryptomonnaies, c’est à dire des maisons renfermant des ordinateurs qui minent. Pour eux, l’énorme consommation des mineurs pourrait être la motivation nécessaire pour augmenter la production d’énergie renouvelable. Cependant, actuellement, ⅔ des ordinateurs qui minent sont situés en Chine, où l’électricité est produite essentiellement à partir de charbon, énergie non-renouvelable particulièrement polluante.
La blockchain: une abolition des frontières
De nombreux journalistes condamnent le Bitcoin, l’Éthereum et bien d’autres cryptomonnaies pour leur trop grande consommation énergétique, mais les enthousiastes des cryptomonnaies défendent que celles-ci sont révolutionnaires et qu’elles ne sont pas qu’un moyen de payement. Pour eux, il faudrait plutôt souligner que le Bitcoin n’équivaut qu’à 6% du marché planétaire bancaire et c’est celui-ci qu’il vise à substituer. On peut alors s’interroger, pourquoi l’UNICEF, un organisme émanant d’une organisation inter-étatique, utilise t-elle un réseau créé implicitement contre les États? Alors que l’euro fait débat quant à son succès et sa continuation, une monnaie planétaire et sans souveraineté est-elle possible voire même souhaitable?
Pour conclure, le montant récolté par UNICEF France qui s’élevait le 12 mars à 12.000 euros s’est réduit à 8.600 euros, quid des fluctuations du prix de l’Étherum. Certes, la campagne n’est pas encore terminée et les enfants Syriens pourraient toucher le jackpot si une hausse du prix de l’Éthereum arrive d’ici la fin de celle-ci. Selon Guenaël Amieux, directeur de projet web, c’est un succès toutefois mitigé pour une campagne orchestrée par BETC, qui au prix du marché d’aujourd’hui a coûté 50.000 euros. Pionnier en France sans doute, mais loin d’être gratuit et indolore, du moins pour le moment.
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